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washitsu (slippery area)

Les règles de configuration d’une pièce à tatami et leur poids donnent une impression de stabilité, de cohérence : leur imbrication verrouille l’espace. Ils sont pourtant des modules indépendants juxtaposés qui rappellent les modèles représentant la tectonique des plaques, cause de tension et de mouvements continus, de l’instabilité des paysages terrestres (séismes, volcans, tsunami, glissements de terrain…).

Le caoutchouc est associé au mouvement, aux pneus et roues de chariots ; en plaque il rappelle les tapis roulants. Matériau imperméable, il est également lié à l’eau, mais à l’eau sale, la boue, la pluie sur la route, les liquides avec lesquels on ne veut pas rentrer en contact : les bottes et pneus, les gants de vaisselle ou de laboratoire. Au Japon, des plaques de mousse noire d’un jō (mesure d’un tatami) couvertes d’un revêtement de caoutchouc sont parfois placées sous les tatamis de manière à les isoler de l’humidité, ou dans les camions et remorques pour amortir les chocs des chargements successifs.

La nuit, les architectures publiques japonaises sont éclairées à la lumière verte des panneaux de sortie de secours : ils nous permettent de distinguer juste suffisamment d’éléments pour traverser les bâtiments mais leur lumière signifie ‘pas de lumière’ : ni signe de présence, ni invitation à entrer. Plus encore, elle souligne les propriétés architecturales et assure qu’on n’oublie jamais par où sortir. Une lumière verte dont on ne voit pas la source a été installée dans la galerie, son reflet vert et blanc flotte sur le béton ciré du plafond. Sa présence discrète de jour, quasiment éclipsée par la lumière naturelle, affiche clairement de nuit l’espace en veille. L’espace se laisse visiter tel qu’il est lorsque personne n’est supposé y être.

Une paire de chaussures d’intérieur (comme on peut en trouver partout au Japon, attendant à l’entrée des salles de bains, Izakaya ou temples d’être enfilées par un visiteur) fixée au plafond face à la baie vitrée renverse l’espace. Les ‘slippers’ sont des ‘chaussures’ pour espaces interstitiels, pour intérieurs mais à l’extérieur des pièces à tatami, ils soulignent les seuils. Le mot ‘slippers’ contient l’idée d’une adhésion étrange et continue au sol (ces chaussures plutôt inconfortables et aux tailles standard ne permettent d’ailleurs pas bien de lever les pieds). Elles peuvent aussi figurer une présence muette — dans laquelle nous pouvons mentalement nous projeter comme dans les bottes à l’extérieur — regardant par la fenêtre comme on peut le faire à la maison un jour de pluie, entre ennui et contemplation.

Rien ne change à l’intérieur de la pièce, mais la nuit tombante, la lumière verte, source lumineuse égale en toutes circonstances prend lentement le dessus sur la lumière naturelle, inhabituellement dense, inquiétante, et l’espace – ou notre sentiment de l’espace – commence à glisser.

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