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Le son ambiant que l'on entend sous le pont du 25 avril de Lisbonne (flux de véhicules sur un pont en métal au-dessus de l'eau) a une certaine ambiguïté : un fond sonore proche du silence – bien qu’assourdissant – parce que sans information. Il est continu, permanent, mais la perception que l'on en a oscille entre une sorte de bourdonnement envahissant comme la menace sourde d’un essaim, et des moments où l'on croit distinguer des voix lointaines et profondes – choeurs antiques ou requiem de marins. Lié au pouvoir politique et à son renversement, ce pont, baptisé du nom de Salazar, figure du régime autoritaire portugais, a été renommé Pont du 25 avril après la Révolution des Œillets (1974). Deux pièces de monnaie commémoratives, qui donnent son titre à l'installation, font office de cartel (scindé) et spatialisent le basculement de pouvoir : une pièce de deux euros figurant le pont du 25 avril est accrochée à l'entrée de l'escalier alors qu'une pièce frappée sous le régime de Salazar représentant ce même pont, alors nommé pont Salazar, est fixée sur le support anti-vibratoire pour micro, visible du visiteur dans le déséquilibre entre deux marches au tournant d'un escalier face à un mur étroit et vertigineux. Dans l'écoute intime au casque, face à une pièce honorant l'incarnation du régime autoritaire installée en lieu et place du microphone qui a été retiré, le son profond sonne comme une plainte, celle de ceux qui ne peuvent s'exprimer, n'écrivent pas l'histoire.
Ce pont rouge de Lisbonne est aussi une structure emblématique similaire à celui de San Francisco, commun à ces deux villes détruites par un tremblement de terre. Comme les architectures parasismiques, les ponts ont toujours représenté un défi car ils doivent être conçus pour résister à d’importantes vibrations. Il devient ici figure des remous et turbulences de l’histoire.