fr / en
Née de notre recherche autour de l'instabilité du sol au Japon (situé au carrefour de quatre plaques, le long d'une zone de subduction), l'installation reprend la configuration d'une pièce traditionnelle à tatamis. Si les règles d'imbrication des tatamis et leur poids semblent verrouiller l'espace, former une base stable, ces sols composés de larges plaques indépendantes juxtaposées peuvent rappeler les vues en coupe des modèles géologiques représentant la tectonique des plaques, cause de tension et de transformation des paysages terrestres (séismes, tsunamis, liquéfaction des sols ou, sur une échelle de temps plus longue, ouverture et fermeture des océans). Au Japon, une attention constante est portée au sol pour éviter précautionneusement de marcher sur les jonctions des tatamis. Justifiant la méfiance, l'installation projette sur ces interstices les zones à risque.
Composée de tapis roulants, la plateforme fixe le cadre d'une dérive continue. Elle condense schématiquement les différents mouvements de plaques à l’origine de l’activité terrestre, notamment ceux qui ont lieu au fond de l’océan et au niveau des côtes : expansion du plancher océanique et failles transformantes, zones de subduction, s'écartant par endroit (rifts), convergeant à d'autres (fosses). Le regardeur est projeté mentalement sur un sol instable au mouvement hypnotique, glissant sur place dans des directions divergentes.
Si l'on parle du 'modèle du tapis roulant' pour décrire les mouvements tectoniques du plancher océanique, le 'tapis roulant océanique' désigne également la circulation thermohaline menacée par le réchauffement climatique, dont le ralentissement ou l'interruption pourrait causer l'extinction de nombreuses espèces à commencer par les poissons. Les bandes convoyeuses évoquent notre modernité, notre surconsommation et le risque d'épuiser les fonds marins. Les poissons y circulent, y sont pesés, scannés et coupés avant d'être distribués, jusqu'aux tapis de caisses ou restaurants de sushis tournants. Le terme 'dérive' évoque les courants (marins notamment), ou la théorie de la dérive des continents ; on l'utilise aussi pour parler d'un dérapage, d'une situation que l'on n'a pas su contrôler.
Les bandes bleues évoquent à la fois l'eau, l'industrie agroalimentaire et les tatamis de sport (judo, karaté) sur lesquels on cherche à maitriser son équilibre.